Gérald Thupinier

Né à Moulins au siècle dernier, vit et travaille à Nice.
Pense que l’art a fini son parcours, mais continue, bêtement, à faire de l’art : une addiction comme une autre…A envie de dire aux artistes du jour : « Il n’y a pas de plaisir à jouer dans un monde où tout le monde triche. » Gide.

La seule excuse de l’art contemporain, c’est qu’il n’existe pas.

« L’œuvre est chez elle uniquement dans le rayonnement qu’elle ouvre par sa présence. » Heidegger.

Que l’art aujourd’hui soit en crise ne devrait faire aucun doute pour toute personne de bonne foi ! Cette crise, je l’énoncerai ainsi : les artistes ne décident plus de ce que doit être l’art. De sorte que l’art contemporain se distingue radicalement de l’art moderne autant que du classique dont le point commun était, précisément, que les artistes décidaient de ce que doit être l’art. Les classiques en s’appuyant sur un métier appris, perfectionné, transmis et qui a produit quelques virtuoses. Les modernes, depuis le Romantisme, en redéfinissant l’art comme vocation où l’artiste n’exerce plus essentiellement un métier, mais expérimente. L’expérimentation rassemble toutes les démarches artistiques de la modernité : «  Est expérimentateur celui qui, persuadé que le nouveau a toujours raison, se fie à n’importe quel résultat. » Peter Sloterdijk. Cette formule convient aux Impressionnistes, aux Demoiselles d’Avignon, aux recherches qui aboutiront à l’abstraction… mais tout autant à Proust, Joyce…Stravinsky… jusqu’à Klein ?

Cette logique de l’expérimentation est celle du laboratoire lequel se nomme, pour les artistes modernes, un atelier qui ne les coupait pas si radicalement de leurs ancêtres classiques. Mais le point important, c’est que l’atelier, où l’artiste expérimente, a plus de valeur que l’exposition. C’est l’objet produit qui compte comme résultat de l’expérimentation et c’est en cela que les modernes décidaient encore de ce que doit être l’art.

L’art contemporain, lui, accorde plus de valeur à l’exposition comme événement, et c’est là qu’il laisse un certain nombre de personnages lui souffler d’abord, lui imposer ensuite une définition de ce que doit être l’art. D’abord… ensuite… oui, cela s’est joué en plusieurs coups comme une fatalité, un mouvement irrépressible par lequel les artistes ont passé la main.

Le premier des personnages, à s’immiscer dans la définition de ce que doit être l’art pour l’imposer au marché, est le critique. Pierre Restany en est la figure emblématique en allant signer le manifeste des Nouveaux Réalistes avec les artistes, comme un artiste ! C’est un moment historique de bifurcation avec Klein qui est le dernier des modernes et le premier des contemporains. Le dernier des modernes par sa volonté expérimentale où la valeur se porte sur l’objet produit : le monochrome, les anthropométries, les peintures de feu ; le premier des contemporains par son désir de l’événementiel où la valeur se déplace vers l’exposition comme spectacle : le vide chez Iris Clert, les anthropométries encore, mais en public.

Le deuxième personnage, qui entreprend de nous dire ce que doit être l’art dans les années 1970, est le commissaire d’exposition. Là, l’acteur majeur est bien sûr Harald Szeemann. Son exposition, Quand les attitudes deviennent formes, en 1969 à la Kunsthalle de Berne, impose le désœuvrement, donc une vraie rupture avec la modernité, comme définition de l’art : l’art n’est plus œuvre, mais attitudes d’artistes. Désormais l’art n’a plus à s’occuper du monde,  d’en venir ou prétendre y retourner en vue de l’augmenter. L’art est devenu ce système dont la seule fonction est de se reproduire : autoréférentialité ! Là où l’art moderne produisait des formes qui absorbaient leur producteur, l’art contemporain exhibe l’artiste qui, seul, s’expose. Pour accréditer cette nouvelle définition, Harald Szeemann a encore besoin de faire référence à des artistes : comme saint Paul parlant au nom du Christ, il est le lieutenant de Marcel Duchamp.

Mais bientôt arrive le temps où l’on pourra se passer de toute collaboration d’artistes pour définir l’art, leur intimant de rester de simples figurants dans l’énorme kermesse des loisirs culturels et des vanités. Ce temps, nous y sommes, est celui où c’est le collectionneur qui impose au marché sa propre définition de l’art comme jeu spéculatif dans tous les sens de ce terme. C’est le temps des Saatchi, des Pinault… Plus d’artistes, plus d’œuvres, plutôt des manifestations plus conformes à une fashion week où des pseudo-transgressions divertissent le bourgeois, paraît-il bohême. Seuls les artistes qui osent se présenter comme des vendeurs organisés de bimbeloterie high-tech sont starisés. L’adoubement s’effectue en vente publique à coup de millions d’euros. C’est notre temps sociétal, politique et culturel où nous sommes englués dans un présent perpétuel qui s’autodévore en surproduction de lui-même. Un temps où le passé est devenu un parc d’attractions pour touristes et où le futur n’est plus pensable : oui, cher Yves Klein, tu nous manques, même si tu as un peu contribué à cette impasse.

Comme l’écrivait Nicolas Chamfort : «  Vain veut dire vide, aussi la vanité est si misérable, qu’on ne peut guère lui dire pis que son nom. Elle se donne elle-même pour ce qu’elle est. »

Gérald Thupinier, printemps 2011

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